Un endroit atypique et historique à Prague : l’église Saints-Cyrille-et-Méthode

Les guides touristiques en parlent peu ou pas du tout. C’est pourtant un des endroits insolites intéressants de Prague. Pour ma part, il m’a fallu un peu de temps pour découvrir l’étonnante histoire de cette église orthodoxe baroque Saints-Cyrille-et-Méthode (il s’agit d’ailleurs plus précisément d’une cathédrale). C’est la lecture du roman HHhH de Laurent Binet qui m’a fait découvrir cet endroit atypique. Cette église est en plein centre de Prague , pas loin de la rivière, entre Karlovo náměstí et la Maison qui danse (vous pouvez facilement enchaîner les deux visites).


Un attentat et une cavale qui ont mis Hitler hors de lui !


L’église Saints-Cyrille-et-Méthode de Prague a été le dernier refuge des tueurs du dignitaire nazi Reinhard Heydrich, le bras droit d’Himmler dit « le Boucher de Prague ». Ce dernier était vice-gouverneur du protectorat de Bohême-Moravie (Reichsprotektor) durant la Seconde Guerre mondiale et considéré comme le dauphin de Hitler. Les impacts de balle sur la façade et la crypte de l’église témoignent aujourd’hui encore de ce haut fait d’armes de la Seconde Guerre mondiale qu’a été l’assassinat du nazi Reinhard Heydrich. Un fait historique qui mettra Hitler dans une colère noire.

L’assassinat du nazi Reinhard Heydrich à Prague

Reinhard Heydrich était un des nazis les plus en vue, le 3ème dans la hiérarchie et un des architectes de l’Holocauste. Il était chef de l’Office central de la sécurité du Reich  (RSHA) qui chapeautait la Gestapo ou les Einsatzgruppen (ces unités mobiles spécialisées dans les tueries de masse en Europe de l’Est comme celles des Juifs ukrainiens). Il était aussi vice-gouverneur de Bohême-Moravie (dans les faits, c’était lui le gouverneur). Enfin, il avait reçu pour mission d’organiser la solution finale de la question juive, programme d’extermination des Juifs d’Europe. Bref, un triste sire dont les surnoms de « Boucher de Prague » ou de « Bête blonde » n’avaient rien d’usurpés.


Deux parachutistes tchécoslovaques ont eu pour mission d’éliminer  Heydrich, le bras droit de Himmler


L’opération Anthropoid -la seule de ce type à avoir été couronnée de succès lors de la Seconde guerre mondiale- avait pour but d’éliminer ce dignitaire nazi tant redouté. Deux militaires, le Slovaque Gabčík et le Tchèque Kubiš, avaient été choisis pour cette mission à Londres avant d’être parachutés en décembre 1941, en Tchécoslovaquie, à vingt kilomètres à l’est de Prague. Ils passèrent à l’acte à Prague le 27 mai 1942 au matin en tendant une embuscade à Heydrich dans un virage sur la route qui le conduisait de chez lui à son bureau du Château de Prague (rue V Holešovičkách dans le quartier de Libeň). Sans escorte, la Mercedes-Benz décapotable conduite par le chauffeur d’ Heydrich dût s’arrêter lorsque Gabčík surgit au milieu de la route et tenta d’ouvrir le feu. Malheureusement pour lui, son pistolet-mitrailleur s’enraya et c’est Kubiš qui lança une grenade sur la voiture alors que Heydrich s’apprêtait à abattre son comparse. Les deux militaires s’enfuirent, l’un à pied, l’autre à vélo, et une semaine plus tard, le 4 juin, et contre toute attente, Heydrich mourra d’une septicémie. Mission accomplie.

Un attentat à forte portée historique

L’objectif des alliés et du gouvernement tchécoslovaque en exil d’Edvard Beneš était atteint : la mort de Heydrich devait représenter une victoire au moins psychologique des alliés sur les nazis. Hitler, fou de rage, donna l’ordre au SS et à la Gestapo de mettre la Bohême à feu et à sang et de retrouver les coupables. L’état d’urgence et la loi martiale furent déclarés. On estime à 5 000 personnes les victimes (des milliers de personnes arrêtées, 1590 personnes exécutées). Des représailles qui auraient pu être pires si, à ce moment du conflit, les nazis n’avaient eu peur de mettre en danger l’activité industrielle de la région, indispensable à l’armée allemande. 3000 Juifs du ghetto de Terezín furent aussi déportés pour être exterminés, 262 Tchèques souvent issus du mouvement Sokol ont été fusillés dans l’ancien camp de concentration de Mauthausen en octobre 1942 et des Juifs enfin furent arrêtés à Berlin.


Une victoire symbolique mais accompagnée de représailles


C’est le petit village de Lidice, à 22 km au nord-ouest de Prague, qui, sans raison tangible, fit office de bouc-émissaire et paya le plus gros tribut. Sur un total de 503 habitants, les nazis ont tué 340 personnes. Une sorte d' »Oradour-sur-Glane tchèque ». Le 10 juin 1942, une division SS y massacra les 199 hommes du village âgés de plus de 15 ans et les femmes qui ne voulaient pas les quitter. 195 femmes furent déportées à Ravensbrück sans connaître le funeste destin de leurs maris et enfants. La majorité des 105 enfants ont été envoyés travailler dans des usines en Pologne, mais 9 de « type aryen »ont été confiés à des familles SS pour être «germanisés» (Lebensborn). Au total, 53 femmes et 82 enfants sont morts dans les camps. Après la guerre, seuls 143 femmes et 17 enfants sont retournés en Tchécoslovaquie. Village martyr incendié et complètement rayé de la carte, le massacre de Lidice eut un retentissement international. Un mémorial et un musée se trouvent aujourd’hui sur le site et rendent notamment hommage aux 82 enfants de Lidice gazés à Chelmno en Pologne (à travers 82 sculptures de Marie Uchytilová). De nombreuses petites filles ont ensuite été baptisées Lidice dans le monde hispanophone et, deux jours seulement après le drame, un village américain de l’Illinois a même été renommé Lidice, beaucoup de ses habitants étant d’origine tchécoslovaque. Un phénomène similaire sera observé au Pérou, au Venezuela ou au Mexique. Le village tchèque de Lidice sera reconstruit en 1947 à côté du premier, en partie grâce à l’argent collecté par des mineurs anglais (Lidice avait alors été présente comme un village minier).

Le village de Ležáky a lui aussi été victime de la folie des hommes. Le 24 juin 1942, le village a été détruit en raison de la découverte d’un émetteur radio utilisé par les parachutistes. Les 33 adultes du village ont été exécutés et sur les 13 enfants, seuls deux qui avaient été germanisés ont survécu. Les 11 autres sont morts dans le camp d’extermination de Chełmno.

Enfin, l’assassinat de Heydrich a amené France et Grande-Bretagne à révoquer leur soutien à l’accord de Munich, en vertu duquel l’Allemagne avait annexé la Tchécoslovaquie. Considérée comme le plus grand acte de résistance intérieure en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, l’opération Anthropoid a conduit à la restauration de la Tchécoslovaquie à ses frontières antérieures à l’accord de Munich une fois la guerre terminée.

Le siège de l’église Saints-Cyrille-et-Méthode

Activement recherchés et après avoir été cachés par des différentes familles praguoises, les deux résistants et auteurs de l’attentat, Gabčík et Kubiš, se réfugièrent avec cinq autres parachutistes le 27 mai 1942 rue Resslova, dans la crypte humide et sombre de l’église orthodoxe Saints-Cyrille-et-Méthode. Mais l’un de leurs comparses résistants s’en alla voir la Gestapo et les trahit (on offrait alors un million de reichsmarks comme récompense à qui permettrait de les retrouver). Le siège de l’église dura 7 heures le 18 juin 1942 et on essaya même de les noyer. Malgré 750 soldats SS, on n’a pas pu capturer les résistants vivants (certains se suicidèrent). Les résistants tchèques qui les aidèrent furent arrêtés et exécutés : sur une grande stèle en marbre noir devant l’église ont été gravés les noms de plus de 290 personnes dont de nombreuses femmes qui ont payé de leur vie leur engagement à aider les parachutistes, directement ou indirectement. Parfois, ce sont des familles entières qui ont été assassinées ou envoyées à la mort dans les camps.


Trou dans le mur, petits papiers, impacts de balles : des vestiges émouvants


Aujourd’hui, la crypte se visite (ce Mémorial national aux héros de l’attentat contre Heydrich a été rénové entre 2010 et 2019, entrée gratuite). La salle qui la précède vous donnera d’intéressantes informations en anglais sur cet épisode de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs détails vous émouvront : le trou que les résistants avaient commencé à creuser dans la crypte pour échapper aux nazis, les nombreux petits papiers et messages en l’honneur des assiégés que les visiteurs ont pour habitude de laisser ou les impacts de balle qui sont toujours bien visibles sur la façade de l’église (ainsi qu’une plaque commémorative érigée en 1947).

Pour aller plus loin

Si le sujet vous passionne, vous en apprendrez plus au musée de l’armée pas très loin du centre, au pied de la colline de Vítkov. Vous pouvez aussi vous rendre sur les lieux de l’attentat contre Heyndrich où se trouve depuis 2009 un joli mémorial dans le quartier de Libeň (trois hommes les bras en croix -le guetteur, Josef Valčík est aussi honoré-, pas facile à trouver entre les rues Zenklova et V Holešovičkách. Deux rues du quartier portent aussi les noms des parachutistes et d’autres rues rendent hommage aux familles qui le sont aidés). Vous avez aussi depuis 2021 une fresque sur le mur de la rue Vychovatelna (à l’arrêt de tram) et une petite noyeraie (60 noyers à l’origine, 7 aujourd’hui) dans le quartier de Veleslavín à Prague 6 (dans les bois entre l’école de la rue Na dlouhém lánu et la voie ferrée) plantée en 1942 par un jardinier à qui deux garçons avaient donné des noix recueillies dans les vestiges de Lidice une fois rasée et que le jardinier avait fait germer. Enfin, vous pouvez aller dans le village de Lidice (voir plus haut) où se trouve aussi une roseraie. Pour s’y rendre de Prague, de Nádraží Veleslavín, vous prenez le bus 300 (plus rapide) ou 322 jusqu’à Lidice, Památník. De Zličín, vous prenez le bus 324 jusqu’à toujours Lidice, Památník. Chaque bus circule environ une fois par heure le week-end (horaires ici) et le trajet coûte 1-2 EUR tout au plus. Le site est ouvert de 9h à 17h.


Lisez HHhH, le roman de Laurent Binet avant votre départ


L’opération Anthropoid a été évoquée en littérature avec le roman HHhH, l’acronyme allemand de « Himmlers Hirn heißt Heydrich », de Laurent Binet. Au cinéma également (voir vidéo ici) avec trois films récents : Lidice (2011), Anthropoid (2016) ou HHhH (2017) mais aussi Les bourreaux meurent aussi de Fritz Lang dès 1943 ! Autre roman très intéressant : Mendelssohn est sur le toit de Jiří Weil (le chaînon manquant entre Kafka et Kundera), aussi comique que tragique et où  l’assassinat de Heydrich est minutieusement relaté. Après votre visite, vous pouvez enfin aller déjeuner au numéro 7 de la rue Resslova dans le restaurant Krčma u Parašutistů (« Aux parachutistes » où on mange pas mal !) ou vous baladez dans les rues avoisinantes qui ont un charme fou et qui ont conservé un côté pittoresque.

Cathédrale Saints-Cyrille-et-Méthode (Katedrální chrám sv. Cyrila a Metoděje)
Resslova 9a (à l’angle formé avec la rue Na Zderaze)
Mar.-dim. 9h-17h
Entrée libre

Musée de l’armée de Žižkov (Armádní muzeum Žižkov)
U Památníku 2
Entrée libre

Restaurant Krčma u Parašutistů
Resslova 7

6 Comments

  1. re bonjour
    j’avais entendu parlé de cet événement, en préparant mon séjour a Prague de la semaine prochaine, j’ai vu le film Anthropoid et je me suis documenté sur l’attentat. La visite de la crypte, lieu historique, sera un moment fort de mon séjour!

  2. J’ai beaucoup aimé ce livre… la manière dont il est écrit…
    Je m’inspire beaucoup de votre site pour découvrir prague autrement lors de mes visites fréquentes. Merci.

        1. Bonjour, oui, Prague est une grande ville extrêmement riche d’un point de vue culturel. Il y a toujours quelque chose à découvrir !

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