Mémorial Jan Palach : un monument émouvant à Prague

À Prague, il existe un mémorial très émouvant en haut de la place Venceslas. Il se trouve un peu en contre bas de la statue de Saint-Venceslas sur son cheval. Quand j’y passe, je ne peux m’empêcher de baisser les yeux au sol pour y croiser ceux de Jan Palach dont le portrait orne une petite stèle. L’émotion est toujours au rendez-vous.

Jan Palach est l’un des grands symboles tchèque de la résistance au communisme et à l’occupation soviétique. Par son geste désespéré -son immolation par le feu- le 16 janvier 1969 en plein après-midi place Venceslas, l’étudiant de 20 ans a voulu ouvrir les yeux de ses concitoyens sur la situation du pays et la soumission de la nation tchèque à l’URSS. Un sacrifice pour la liberté de son pays.

Ce geste fatal, Jan Palach l’a effectué quelques mois après avoir fait les vendanges en Bourgogne (3 semaines en octobre 1968). Il voulait dénoncer la démission et l’indifférence de la population face à l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie l’été précédent (21 août 1968). Une intervention qui mettait fin au Printemps de Prague et au « socialisme à visage humain » promu par Alexander Dubček (Premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque de l’époque) au profit de ce qu’on a appelé la « normalisation ».

L’étudiant en lettres de l’Université Charles est mort le 19 janvier 1969 des suites de ses brûlures, trois jours après s’être aspergé d’essence et immolé par le feu près de la fontaine du Musée national (et malgré l’intervention d’un conducteur de tram pour étouffer les flammes le jour de son acte). D’autres étudiants l’imiteront la même année (Jan Zajíc toujours place Venceslas mais en contrebas en février et Evžen Plocek à Jihlava en avril…) La première personne à faire comme Jan Palach est un apprenti hongrois de 16 ans, Sándor Bauer, qui s’immole le 20 janvier 1969 sur les marches du Musée national de Budapest. Il met le feu à ses vêtements aspergés d’essence en criant des slogans contre l’occupation soviétique de la Hongrie et contre la participation de son pays à l’occupation de la Tchécoslovaquie. Décédé trois jours plus tard, son acte est longtemps resté inconnu du grand public. Quelques heures plus tard seulement, toujours le 20 janvier, c’est au tour de Josef Hlavatý, jeune ouvrier brassicole tchécoslovaque de 25 ans, de s’immoler place T. G. Masaryk à Plzeň, avant de décéder le 25 janvier.

Un Polonais âgé de 59 ans, Ryszard Siwiec, l’avait même précédé en septembre 1968. Un mémorial est consacré à Prague à ce dernier. Une rue Ryszard Siwiec a été inaugurée près de l’Université d’économie et de commerce de Žižkov en 2009, et un monument installé dans la rue l’année suivant. Une fresque baptisée « Hear my cry » apparaît derrière le monument sur la façade du bâtiment qui abrite l’Institut d’étude des régimes totalitaires. Quelques semaines après l’invasion de la Tchécoslovaquie, le 8 septembre 1968, Siwiec avait assisté à une grande fête des récoltes au stade du 10e anniversaire de Varsovie. Il s’est immolé par le feu devant des dizaines de milliers de spectateurs, dont des responsables communistes. L’acte a été filmé, mais il a été réprimé avec succès par les autorités à l’époque avant que les images ne réapparaissent après la chute du communisme. Par le bouche-à-oreille, le suicide de Siwiec a inspiré Jan Palach. Les autorités tenteront aussi de discréditer Jan Palach en faisant disparaître une lettre retrouvée dans la poche de son manteau où il critiquait l’invasion soviétique.


Une lettre retrouvée dans la poche de son manteau


En voici un extrait : « Etant donné que nos nations sont arrivées au bord du désespoir, nous avons décidé d’exprimer notre protestation et de réveiller le peuple de ce pays : notre groupe est composé de volontaires décidés à s’immoler par le feu pour notre cause. J’ai eu l’honneur d’être la torche numéro 1. » Son geste aura un très fort retentissement à Prague (on parle d’un groupe fictif de 14 étudiants prêts à passer à l’acte) mais aussi mondial (Charles Aznavour par exemple, qui devait se produire à Prague quelques jours après la mort de Palach en 1969, annulera son concert et ne viendra chanter qu’en 2016 !)  Voici d »émouvantes images d’archives de la procession funéraire de 1969 (le cercueil de Palach a été exposé en janvier 1969 au Karolinum). Puis, pendant près de vingt ans, le nom de Jan Palach ne pourra qu’être murmuré qu’en public.

Vingt ans plus tard, en janvier 1989, a débuté une « Semaine Palach » riche en manifestations. Un groupe appelé le Mouvement des enfants de Bohême a descendu la place Venceslas le 15 janvier 1989 pour commémorer le 20ème anniversaire du sacrifice de Palach et Václav Havel, un des leaders du mouvement dissident de la Charte 77, est alors arrêté par la police communiste puis condamné à 9 mois de prison ferme. Quelques mois plus tard, en novembre 1989, c’est le début de révolution de Velours qui aboutira à la chute du régime. Havel, à la tête du mouvement Forum Civique, deviendra en décembre 1989 président de la République fédérale tchèque et slovaque. En ce sens, cette « Semaine Palach » peut être considérée comme l’un des catalyseurs de la révolution de Velours. La commémoration s’est transformée de manière inattendue en une puissante protestation de masse contre le régime.

Ci-dessous : La croix en bronze commémorative installée en 2000 en hommage à Palach et Zajíc. Vous la retrouverez sur une petite élévation du trottoir devant le Musée national de l’autre côté de la rue Wilsonova. Jan Zajíc est aussi honoré au n° 37 de la place Venceslas. Là même où il s’est immolé se trouve une petite sculpture sur la façade (une main tenant des roses). Allez voir, c’est à 100 mètres seulement !

Le jour anniversaire de la mort de Jan Palach, le 16 janvier, la stèle comme la croix sont couverts de fleurs et de bougies. Mais toute l’année, on se rappelle son acte heroïque quand on passe à proximité… Cette figure de la résistance gênait tellement le régime communiste que, la surveillance de sa tombe ne suffisant pas, on ira jusqu’à exhumer et incinérer son corps en 1973 puis en expédier les cendres à Všetaty (depuis 2019, un mémorial et une exposition du Musée national se trouvent dans la maison du village où il vécut toute sa vie). En 1990, après la chute du régime, les cendres de Jan Palach retourneront à Prague (cimetière d’Olšany).

Il existe d’autres lieux de mémoire consacrés à Jan Palach à Prague comme :

-le mémorial de Vítkov qui peut être l’objet d’une chouette balade et où sont conservés ses effets personnels.

-l’immense pylône d’acier (30 mètres de haut) juste à côté du Nouveau bâtiment du Musée national. L’architecte en charge de la reconversion, entre 1968 et 1973, de la Bourse en Assemblée fédérale tchécoslovaque (Parlement) l’avait secrètement dédié à Jan Palach. Il a fallu attendre 50 ans et 2018 pour que, à l’occasion de la rénovation du pylône, cela soit découvert dans les plans des fondations. La flamme en bronze prévue à l’origine est installée en 2020 (le régime communiste n’en voulant pas dans les années 70).

-les deux sculptures monumentales ,« La maison du suicidé et la maison de la mère du suicidé », de l’architecte américain d’origine tchèque John Hejduk, installées en 2016 sur la place Jan Palach en face de la Faculté des Lettres où le jeune martyr étudiait. Les deux statues sont censées représenter des bâtiments en feu. 

-le masque mortuaire installé dès 1990 à gauche de l’entrée du bâtiment de la faculté de philosophie de l’Université Charles et oeuvre du sculpteur Olbram Zoubek (qui a aussi réalisé le monument en hommage aux victimes du communisme de Malá Strana, en bas de la colline de Petřín et la tombe de Palach au cimetière d’Olšany qui se trouve près de l’entrée principale dans la section 9 2ème subdivision). Zoubek avait réussi à pénétrer dans le département de pathologie sous surveillance des agents de l’ancienne police secrète communiste StB pour prendre le moulage du corps calciné et en réaliser le masque mortuaire ! Incroyable histoire !

-les graffitis (Otakar Dušek, 2014) sur la façade de l’ancien hôpital désaffecté situé au n°61 de la rue Legerova toute proche et où Palach a été conduit après son geste. Le prêtre Josef Toufar est mort dans le même bâtiment en 1950 après avoir été torturé par les officiers du StB (il s’agissait de discréditer l’Église catholique après qu’un miracle serait apparu dans l’église de Číhošť). L’ancien hôpital devrait très bientôt abriter un café qui rendra bien evidemment hommage aux deux martyrs.

Vous trouverez des images d’archives dans cette courte vidéo. Et si vous voulez tout connaître de la vie de Palach, un site internet très complet a été réalisé à l’initiative de l’Université Charles de Prague (avec une version en français !) Raymond Depardon a également consacré à ce héros et martyr son premier film documentaire, un court-métrage intitulé Ian Palach. Même titre pour un film de 2018 dont voici un extrait. Le romancier Anthony Sitruk a enfin publié La vie brève de Jan Palach (Le Dilettante).

2 Comments

  1. Bonjour, merci pour votre excellent blog très utile, je rentre de Prague où j’ai séjourné 3 jours et j’ai absolument voulu me rendre encore une fois à ce monument que je suis allé voir il y a très exactement 30 ans. Si vous le souhaitez, je peux vous envoyer les deux photos que j’avais prises en 1993, il n’y avait pas encore cette plaque commémorative. Je trouve que le souvenir était beaucoup plus entretenu à l’époque. Ce qu’on voit maintenant, on a l’impression que la végétation va recouvrir la plaque tel l’oubli recouvre les souvenirs. J’étais déçu de voir que derrière la végétation traînait des cartons de Mc Donald et autres emballages vides, contrastant avec la propreté qui règne partout ailleurs dans la ville.
    D’ailleurs, c’est agréable de voir des façades, même d’immeubles simples de l’époque soviétique, qui ne sont pas recouvertes de graffitis.

    1. Bonjour Thierry et merci, ne vous inquiétez pas, le petit mémorial dédié à Jan Palach qui se trouve place Venceslas (si c’est bien celui auquel vous faites référence) ne tombera pas dans l’oubli car des centaines de touristes viennent le voir chaque jour et j’y étais encore aujourd’hui avec des visiteurs. C’était d’ailleurs très propre comme souvent mais il peut effectivement arriver que des papiers ou autres traînent ici ou là. La mémoire de Palach est entretenue à de nombreux endroits à Prague et un nouveau lieu devrait prochainement être créé dans l’hôpital où il a succombé à ses brûlures et distant de la place Venceslas de quelques dizaines de mètres seulement. Bien à vous,

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