Comment aller à Terezín, lieu de mémoire terriblement émouvant en Tchéquie ?

Dans cet article, je vais vous raconter l’histoire d’un lieu tristement célèbre et incontournable de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale : la forteresse et ville de garnison de Terezín.

Outre sa fonction de prison au cours de la Première Guerre mondiale, les nazis ont en effet établi à Terezín, pendant la Seconde Guerre mondiale, un camp de concentration, un camp de transit et un ghetto. Y furent enfermés des Juifs, tchécoslovaques, allemands et autrichiens le plus souvent, dans le cadre de la funeste Solution finale.

C’est aujourd’hui un lieu de mémoire qui se visite (250 000 visiteurs annuels pour le musée du ghetto). Et, souvent, les visiteurs que j’accompagne me demandent comment aller à Terezín et visiter le mémorial.


En toute fin d’article, je vous indique comment aller à Terezín depuis Prague !


Une ville-forteresse créée à la fin du 18ème siècle

Terezín (Theresienstadt en allemand) est une ville du nord de la Tchéquie (Bohême du Nord). Elle est située à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Prague (la capitale tchèque abrite quant à elle un superbe quartier juif !) C’est une ancienne forteresse et ville de garnison. Une merveille d’ingénierie de la Renaissance en forme d’étoile ou de flocon de neige.

C’est à la fin du 18ème siècle (1780-1790) que les Habsbourg et l’empereur Joseph II érigent la forteresse baptisée Theresienstadt en l’honneur de sa mère l’impératrice Marie-Thérèse. Les fortifications sont conçues dans la tradition de l’ingénieur d’Argencourt, concepteur de la célèbre citadelle fortifiée de Brouage en France. La forteresse, qui s’étend sur près de 4 km2, accueille d’abord sous l’empire austro-hongrois,une garnison de plus de 5 000 soldats et aurait pu en accueillir jusqu’à 11 000 en temps de guerre. Mais jamais utilisée pour se défendre contre les invasions prussiennes, Terezín commence à servir de prison dès le milieu du 19ème siècle avec la Petite Forteresse ou Kleine Festung Theresienstadt, près de la rivière.

Au cours de la Première Guerre mondiale, la forteresse devient donc un camp de prisonniers politiques pour les prisonniers pro-russes d’Europe de l’Est. Le plus illustre d’entre eux est Gavrilo Princip, l’auteur de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et de sa femme, évènement déclencheur de la Seconde Guerre mondiale. Atteint de tuberculose, Princip meurt à Terezín en 1918 (ses restes seraient aujourd’hui dans une chapelle du cimetière de Sarajevo). La forteresse redevient garnison lors de la Première République tchécoslovaque après 1918.

Un ghetto et un camp de transit pour les Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale

Terezín est ensuite utilisée par la Gestapo au début de la Seconde Guerre mondiale comme base militaire de la Wehrmacht (la ville-forteresse accueille alors environ 3 500 soldats et 3 700 civils principalement employés par l’armée) et comme prison pour prisonniers politiques jusqu’en 1941 (Petite Forteresse). Les premiers prisonniers, principalement des Tchèques, mais aussi des Russes, des Polonais, des Allemands et des Yougoslaves arrivent en juin 1940 dans la ville-forteresse alors située sur le territoire du protectorat de Bohême-Moravie, État satellite occupé par le Troisième Reich sur les restes de l’ancienne Tchécoslovaquie

Un peu plus tard, à partir de novembre 1941, la Gestapo transforme la Petite Forteresse de Terezín en camp de transit pour les Juifs tchèques avec l’accord de Reinhard Heydrich, assassiné plus tard à Prague (lire ici).


La Gestapo transforma Terezín en camp de transit pour les Juifs tchécoslovaques et en ghetto pour les Juifs d’Allemagne, d’Autriche ou d’Europe occidentale privilégiés, âgés ou célèbres.


À partir de juin 1942, sont internés les Juifs du Reich âgés de plus de 65 ans et « éminents », membres de l’intelligentsia juive de l’époque, célèbres (et dont la disparition aurait inquiété l’opinion internationale), ou qui avaient été blessés au combat lors de la Première Guerre mondiale. Pour les loger, les nazis expulsent alors 7 000 Tchèques non-juifs qui vivaient à Terezín et isolent la communauté juive dans la forteresse. Puis suivent les Juifs néerlandais et danois en 1943 et, à la fin de la guerre, le ghetto rassemble des prisonniers de nationalités très diverses. Terezín devait servir à dissimuler la nature réelle des déportations vers l’Est et la Pologne (Treblinka, Majdanek, puis, à partir de 1942, Auschwitz-Birkenau où termineront 63 convois). Les SS présentaient même Terezín comme une ville thermale où les Juifs, encouragés à signer de faux contrats d’achat de maison, pouvaient prendre leur retraite…

Un camp de concentration présenté comme modèle par les nazis

Près de 155 000 Juifs de toute l’Europe ont été internés à à Terezín. Fin 1943, à la suite du transfert de 500 juifs danois, le gouvernement danois insista pour que la Croix-Rouge accède au site et en novembre 1943, Eichmann promit aux Danois une visite du ghetto au printemps 1944. Dès décembre 1943, les nazis orchestrèrent alors une véritable mise en scène pour faire passer le camp de concentration de Terezín pour un camp modèle (Opération Embellissement ou Verschönerung). Et le 23 juin 1944, pendant 8h et selon un parcours préétabli, une délégation du Comité international de la Croix-Rouge et du gouvernement danois visita la ghetto. Il s’agissait de créer un paravent pour dissimuler la vraie nature de la Shoah. De faux magasins, écoles et cafés furent construits pour donner de ce « village Potemkine » une illusion de confort. Les prisonniers visités par la Croix-Rouge furent installés par deux ou trois maximum dans des pièces fraîchement repeintes. La vie culturelle du ghetto, déjà riche, fut encouragée. Les transferts vers Auschwitz furent accélérés afin de réduire la surpopulation (7 503 personnes sont convoyées à Auschwitz en mai 1944, principalement malades, âgés ou handicapés qui feraient mauvaise figure dans le tableau que les nazis veulent offrir de Terezín « colonie juive exemplaire »)…

La supercherie à fin de propagande fut un succès et la Croix-Rouge présenta alors ce camp comme un camp exemplaire. Le médecin suisse, Maurice Rossel, écrivit un rapport favorable affirmant que les conditions de vie dans le ghetto étaient favorables, et même supérieures à celles de la population civile du protectorat, et niant les déportations. Un film de 90 minutes, « Le Führer donne une ville aux Juifs » fut même tourné en 1944 dans le ghetto avant que les acteurs et le réalisateur ne furent à leur tour déportés à Auschwitz. Le film montrait le camp comme un centre culturel, avec des gens qui jardinaient, jouaient de la musique, faisaient du sport ou discutaient dans un café (jamais distribué, projeté quatre fois seulement, seules 20 minutes du film ont survécu). Claude Lanzmann, auteur de « Shoah« , documentaire fleuve sur l’extermination des Juifs par les nazis, est revenu en 2013 avec « Le dernier des injustes » sur l’histoire de ce « ghetto modèle » de Terezín. En réalité, les déportés s’entassaient à 60 ou 80 par pièce dans des casernes sordides (11 baraquements) ou les 218 maisons environnantes une fois la forteresse saturée. Voici une courte vidéo sur la vie au sein du ghetto.

Des conditions de vie inhumaines mais une vie culturelle foisonnante

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un camp d’extermination, Près de 35 000 déportés périrent à Terezín. On y mourrait de famine et de malnutrition ou encore de maladies avec notamment une épidémie de typhus à la fin de la guerre dont Robert Desnos, poète français, sera victime le 8 juin 1945. Sans compter la barbarie des nazis. Le 9 novembre 1943, par exemple, des membres de l’administration autonome du ghetto sont accusés d’avoir favorisé l’évasion de 55 prisonniers et arrêtés. Deux jours plus tard, on ordonne de mener un recensement dans l’ensemble du ghetto où vivent alors 36 000 personnes. Tous les détenus, quel que soit leur âge, doivent rester debout plusieurs heures à l’extérieur par un froid extrême. Une opération qui provoque la mort par épuisement de 300 personnes.


Près de 155 000 Juifs furent déportés à Terezín entre 1941 et 1945. Près de 35 0000 y périrent. 88 000 furent déportés vers d’autres camps dont le camp d’extermination d’Auschwitz où on ne compte que 70 survivants sur les 15 711 juifs tchécoslovaques déportés. 23 000 ont survécu à l’Holocauste...


88 000 prisonniers furent déportés à Auschwitz et ailleurs. Le premier convoi de déportés quitte Terezín le 9 janvier 1942 pour le ghetto de Riga. Il est fréquent que les proches se portent volontaires pour accompagner le déporté par solidarité familiale. Le rôle du Conseil juif ou Conseil des Anciens (Judenrat) pour choisir les gens promis à la déportation a soulevé d’importantes controverses. Néanmoins, l’administration autonome a utilisé son pouvoir pour épargner, autant que possible, les enfants (environ 15 000 enfants ont vécu à Terezín, selon la plupart des estimations, moins de 100 enfants ont survécu). Quant aux personnalités « éminentes », seuls les SS pouvaient les déporter (SS qui, à partir de l’automne 1944, assureront la totalité de la sélection). Le nombre total de survivants à Terezín est estimé à environ 23 000 (en comptant les 4 000 déportés qui ont survécu aux camps de la mort).

Si la pratique religieuse était tolérée à Terezín, la vie culturelle était elle encouragée. L’Opéra Brundibar (plus d’infos dans cet article de France Culture) écrit par Adolf Hoffmeister et le compositeur tchèque-allemand Hans Krása en 1938 fut interprété par des enfants captifs à Terezín qui, pour la plupart, furent assassinés dans les camps nazis. Il sera joué à 55 reprises (environ 1 fois par semaine et notamment le 23 juin 1944 lors de la visite de la Croix-Rouge) et jusqu’aux déportations d’automne 1944. Le chef d’orchestre Rafael Schächter a aussi monté à Terezin le Requiem de Verdi. Plusieurs fois, l’oeuvre s’effondre juste avant l’achèvement parce que les artistes partent pour Auschwitz. La seizième et dernière représentation a elle aussi était donnée devant la délégation de la Croix-Rouge. Un livre, « Le Requiem de Terezin » de Josef Bor(Ed. du Sonneur), s’inspire de cette histoire bouleversante. S’il était interdit de prendre des photos, 4 000 dessins d’enfants, héritage précieux, ont aussi été réalisés (beaucoup sont exposés au Musée juif de Prague). Les activités culturelles étaient favorisées à Terezín sous le gouvernement de l’administration autonome juive (Judenrat mentionné plus haut) et la présence de nombreux prisonniers considérés comme « éminents ». La bibliothèque centrale du ghetto, ouverte en novembre 1942, a rassemblé jusqu’à 100 000 livres avec 15 bibliothécaires à temps plein. Au moins 2 309 conférences, données par 489 personnes différentes, furent proposées au ghetto, sur des sujets variés comme le judaïsme, le sionisme, l’art, la musique, les sciences, l’économie. Bref, une véritable résistance spirituelle au nazisme.

La libération de Terezín et la création d’un mémorial national

Le 2 mai 1945, la Croix-Rouge investit le camp pendant cinq jours, avant l’entrée de l’Armée rouge dans la nuit du 8 au 9 mai. Terezín est le seul ghetto nazi où survive une population importante au moment de sa libération. Le jour de la libération, Terezín ne compte plus que 5 500 prisonniers, dont 1 600 enfants. S’ajoutent à eux, dans les derniers jours de la guerre, près de 15 000 prisonniers venus des camps de concentration de l’Est (le poète Robert Desnos mentionné plus haut fait partie d’une de ces marches de la mort, longue de 200 km et arrivée le 8 mai 1945. Il mourra un mois plus tard le 8 juin. La presse tchèque publie ce qui est présenté comme son dernier poème le 1er juillet). La Petite Forteresse de Terezín devint alors un camp d’internement pour les Allemands des Sudètes. Après la guerre, Terezín restera une garnison jusqu’en 1996. Depuis que l’armée est partie, Terezín, qui a des airs de ville fantôme, est devenue un village de 1860 habitants, ce qui est peu car la ville est faite pour un minimum de 7000 habitants.

C’est en 1947 que Terezín est devenu mémorial national avec visite de la forteresse, du musée du ghetto, du crematorium, du cimetière national où se trouvent plus de 2 000 tombes et cinq pylônes indiquant des tombes communes…. En 1991, après l’effondrement du communisme (le ghetto a été globalement oublié par les autorités soviétiques), une exposition permanente sur l’histoire du ghetto de Terezín a ouvert ses portes dans l’ancienne école municipale. Et en 2020, à l’occasion des 75 ans de la libération d’Auschwitz, une exposition permanente sur l’histoire des transports de Juifs de Terezín vers d’autres camps a été installée dans la maison de pesage.

Comment aller au mémorial de Terezín ?

Le mémorial est ouvert tous les jours de l’année sauf les 24, 25 et 26 décembre ainsi que le 1er janvier. Le billet coûte près de 15 EUR et de nombreux organismes proposent une visite du mémorial depuis Prague. Voici les principaux :

Aller au mémorial de Terezín par ses propres moyens :

  • En voiture : Il faut environ 45 minutes de route depuis Prague pour rejoindre Terezín qui se trouve à environ cinq minutes une fois quittée l’autoroute D8 (sortie 35 ou 45). Parking (prix raisonnable 1 EUR de l’heure ou entre 3 et 4 EUR pour la journée, voir ici). 2 options de parking :
  • Si vous souhaitez commencer votre visite par une visite de la petite forteresse, vous pouvez vous garer sur le grand parking en face de la petite forteresse (Google Maps).
  • Si vous souhaitez commencer votre visite par une visite du musée du ghetto ou de la caserne de Magdebourg, utilisez le parking du centre d’information (Google Maps) ou du crématorium (Google Maps).
  • En bus : ligne directe n° 413 de Prague à Terezín, station Letnany (station de métro sur la ligne C), depuis le quai L. Un bus par heure environ et une heure de trajet (horaires ici). Si vous souhaitez commencer votre visite par une visite de la petite forteresse, descendez à l’arrêt « Terezín, U pámátníku ». Si vous souhaitez commencer votre visite par une visite du musée du ghetto, descendez à l’arrêt « Terezín, Autobusové nádraží ».

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